vendredi 30 août 2013

COup De ToRCHoN


Face à la misère cinématographique que nous subissons actuellement  - en gros soit on nous inflige des comédies navrantes aux ressorts dramaturgiques fin comme du gros sel (« Very bad Trip », franchement...) soit on nous grille les neurones avec des films gonflés au moyen d'effets spéciaux hideux en 3D ridicule (tous ces films de super-héros casse bonbons...), il est frappant lorsqu'on se plonge dans un classique de notre patrimoine de constater à quel point nous avons perdu au change.


En 1981, Bertrand Tavernier entérine sa collaboration avec Philippe Noiret, avec lequel il avait tourné L'Horloger de Saint Paul en 1974, Que la fête commence en 1975 et Le juge et l'assassin en 1976, en proposant sur les écrans Coup de torchon.


Amateur de polar bien corsé, Tavernier apprécie le regretté Jim Thompson, l'un des auteurs les plus corrosifs du genre. D'ailleurs, l’une de ses innombrables pépites se nomme Rage noire. C'est une œuvre d’un profond nihilisme qui a pour protagoniste principal un jeune noir éprouvant un tenace ressentiment envers quiconque peuplant cette putain de planète et cet ouvrage va très loin dans la noirceur (le sexe et la violence, autant physique que psychologique, sont monnaies courantes et les situations scabreuses abondent). Pour situer, le sieur Thompson est un chantre des personnages atrabilaires et à chacun des ses romans, qui n'épargnent rien ni personne, il nous assène un uppercut à même de déboîter notre tête. 

Voilà pourquoi Tavernier va jeter son dévolu sur «  1275 âmes », un des livres les plus décapants du bonhomme. Mais alors que d'autre se serait contenté d'une adaptation routinière, il transfigure l'intrigue qui se déroule dans le Sud des États-Unis en la transposant dans l' Afrique Coloniale.
Et de ce parti pris culotté, il tirera toute la force singulière qui parsème son film.
Dès le début nous sommes déroutés par les premières images qui nous présentent un Philippe Noiret inquiétant qui, dissimulé derrière un arbre, s'amuse à mettre en joue avec un flingue des enfants noirs alors qu'une éclipse pointe à l'horizon. Cette ouverture volontiers surréaliste nous prépare à un spectacle qui ne cessera pas de défier toutes les convenances. 


Dans le rôle du shérif d'un bled paumé qui, de prime abord se laisse humilier par tout un chacun, Noiret, tel une sorte de gros ours débonnaire, excelle. Tout comme le reste du casting qui mérite toutes les louanges : Stéphane Audran en épouse acariâtre de Noiret, Eddy Mitchell impérial en grand bénet veule mais mauvais comme une teigne, Guy Marchand en chef de la police raciste, Jean-Pierre Marielle dans le double rôle d'un maquereau détestable et d'un militaire idiot et Isabelle Huppert en femme à la cuisse légère s'en donnent à cœur joie. 


Écrasés par la moiteur tropicale, tous ces personnages sont en permanence recouvert d'une pellicule de sueur qui leur confère un aspect malpropre qui ne fait que renforcer la noirceur de leurs âmes. Car, soyons clairs, pas un d'entre eux n'est fréquentable ; ce sont tous des pourris de la pire espèce , le lie de l'humanité réunie dans un microcosme africain en somme.
Marielle et ce fourbe de Gérard Hernandez, qui se pavanent dans des costumes d'un blanc immaculé, passent leur temps à tirer avec une carabine sur des cadavres qui sont charriés par un fleuve et prennent un malin plaisir à se foutre de la gueule de Noiret.
Audran convole avec son frère (!) dès que son mari à le dos tourné et ne pense qu'à lui piquer son pognon.

Mitchell est un parasite de la pire espèce qui n'en glande pas une et profite du gîte et du couvert offert par son beau-frère.
Marchand se prend pour un cador de la police qui va mettre au pas fissa tous ces sales nègres qui sont un fléau pour l'Afrique à ses yeux.


Huppert se fait battre comme plâtre par son mari, mais elle demeure avec lui parce qu'il est plein aux as et le trompe à qui mieux mieux à la première occasion qui se présente à elle.
Tous ces tarés enquiquinent à un degré divers le personnage de Noiret qui finira par péter un câble et se révéler le plus retors d'entre tous. Pour leur plus grand malheur...


Truffé de situations extravagantes (un cadavre, forcément encombrant, qui est rapatrié en brouette sur le seuil de la maison de Huppert ; Marielle, qui enquête sur la mort de son frère jumeau, se chope un mal de tête si carabiné en écoutant les propos abscons de Noiret, qu'il préfère prendre la tangente car tout cela l'épuise vraiment trop) et doté de dialogues savoureux déclamés avec une visible délectation par tous ces acteurs à leur sommet, ce long métrage peut s'enorgueillir d'un jusqu'au boutisme jamais pris en défaut. L'amoralité la plus extrême imprègne chaque centimètre de pellicule et ce que l'on aurait pu prendre à tort pour une farce grotesque vire rapidement en un ovni filmique dérangeant qui met à mal notre confort.


On assiste alors médusé à une étude sans concessions de ce que le genre humain peut présenter de plus abject et, au final, on finit par se rendre compte que, aussi fou que puissent paraître les actes du personnage de Noiret, c'est pourtant lui, le meurtrier machiavélique, l'as de l'entourloupe qui est le plus lucide dans ce cheptel de crapules et qu'il assène une sorte de justice en débarrassant le continent africain de ces cancrelats néfastes.


Bref Tavernier secoue le landerneau du cinéma français avec une œuvre qui, plus de trente années plus tard, demeure d'une audace et d'une modernité toujours aussi vivace. Voilà en somme un film qui marque durablement les esprits ce qui le rend d'autant plus précieux alors que nous traversons actuellement une des pires périodes cinématographique qui soit. Et malheureusement, je n'ai pas le sentiment que le retour d'un cinéma qui sorte violemment des sentiers battus ne soit prêts d'arriver de sitôt.



Harry Max.

Ce papier est dédié à Elmore Leonard, auteur de polars ayant inspiré, entre autres, le film Get shorty (Zigzag movie) ou encore la magistrale série Justified. 


3 commentaires:

  1. Superbe papier, cher Harry Max. Et superbe film, la transposition de l'univers typiquement ricain de Thompson vers ces personnages si typiquement franchouillards est la clé de cette réussite. La crédibilité du film n'en est que plus accrue et nous épargne les clichés faisandés qui polluent trop de polars.
    Et puis, Isabelle Huppert, n'est ce pas...hein ? Tout le casting, en fait, est démentiel. Le cinéma français en état de grâce, ce Coup de torchon.
    Hugo

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  2. Parmi tous mes films préférés, celui-ci en fait parti, je te remercie, j'ai eu l'impression de le revoir ;)) Oui, ils sont affreux, sales, méchants et pourris jusqu'à la moelle, ils sont fabuleux. Je n'ai pas lu le livre, mais ce film est d'une justesse qui remet dans l'axe, d'une part ne pas oublier que l'homme est capable des pires bassesses (bon, la femme aussi), et d'autre part comme ici qu'il peut faire de bons films ;D
    Sylvie

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    1. Tu n'as pas encore lu ce bouquin de Thompson? Mais jette-toi y dessus tout de suite malheureuse! Et ce te sera d'autant plus facile qu'un certain Mister Spanky - homme de bon goût - l'a dans sa collec' de romans noirs.

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